Communication parents-enfants : se parler avec bienveillance

« Parler avec bienveillance » : n’est-ce pas ce que nous souhaitons naturellement en tant que parent ? Mais du mode de communication idéal à la réalité, il peut y avoir un abîme, creusé par l’épuisement, l’incompréhension et les chamailleries. S’y trouvent également plein d’automatismes hérités de notre propre enfance, qui peuvent être plus autoritaires que bienveillants. Et si nous tentions de nous parler autrement pour le bénéfice de tous, parents comme enfants ?

Tout ce que nous disons à nos enfants "pour leur bien"

Alors que nous mangeons des crêpes, j’observe qu’un de mes enfants verse beaucoup de sucre sur la sienne. Je lui fais la remarque. Je m’inquiète réellement de son goût immodéré pour ce qui est sucré. Avec lui, les yaourts ne sont jamais assez sucrés, le goûter devient le principal repas de la journée et, dès qu’il voit des bonbons, impossible de le raisonner tant il aime ça. La fratrie, bien consciente du péché mignon du petit gourmand, y va de ses remarques ou pseudos conseils « tu exagères, tu en mets toujours trop », « Et, en plus, tu veux ajouter de la chantilly ! », « Tu vas finir par être malade », « Tu n’auras plus le droit de manger de sucre et tu auras des piqûres tous les jours », « C’est pour ton bien qu’on te dit ça ». Soudain, tilt : je réalise que sous prétexte que nous l’aimons et que nous nous inquiétons pour lui, nous sommes en train de le submerger de reproches et de jugements. Mon loulou, au visage habituellement si joyeux, se referme comme une huître. Le message que je voulais faire passer n’a pas été entendu et, pire que ça, mon enfant s’est senti agressé. Je m’excuse et je fais prendre conscience à toute la famille de ce qui vient de se passer : « Nous avons voulu donner des conseils par amour et souci pour lui. Pensez-vous qu’il ait ressenti une seule miette d’amour par toutes ces remarques ? » Tout le monde convient que non. Nous nous excusons mais il faudra du temps pour que mon loulou retrouve son sourire.  Ce jour-là, nous n’avons pas su nous parler avec bienveillance. Je ne veux pas que cela se reproduise.  

Combien de paroles blessantes nous arrive-t-il de prononcer « pour le bien » de notre enfant (ou de notre conjoint d’ailleurs) ? Finalement, le problème n’est pas dans le message « attention à ne pas mettre trop de sucre, c’est mauvais pour la santé » mais dans la manière de le faire passer. Offrir à mon enfant une alimentation équilibrée est mon défi, un beau défi. Comment le relever, celui-là et tous les autres, avec bienveillance ?

1ère étape pour parler avec bienveillance : abandonner le "tu qui tue"

Dans cet exemple, on voit vite comment notre jeune gourmand s’est retrouvé assailli d’accusations « TU fais ci, TU ne fais pas ça, TU, TU… ». Pas étonnant, qu’il se soit refermé sur lui-même. Si j’avais su montrer l’exemple dès le départ, je suis persuadée que les frères et sœurs n’auraient pas pris le relais. Ce « tu » accusateur nous empoisonne la vie et il est contagieux : bien vite, tout le monde aura compris que le problème est chez l’autre : « c’est lui qui m’a embêté », « il m’a pris mon jouet », « il m’a mal parlé ». Dans une fratrie, la source du problème est toujours dans le frère ou la sœur, je ne vous apprends rien.

Pourtant, lorsque les enfants étaient petits, j’avais bien étudié le livre remarquable de Thomas Gordon Parents efficaces au quotidien, un classique sur la communication familiale. Je veillais à dire « je suis agacée » plutôt que « tu m’agaces » pour montrer que chacun est responsable de ses sentiments. Mais le coup des crêpes m’a montré que j’avais besoin d’une piqûre de rappel.

Thomas Gordon explique que les messages « tu » : sont ceux avec lesquels le parent ordonne (« va dans ta chambre »), menace (« Si tu n’arrêtes pas,… »), sermonne (« il faut toujours dire merci »), conseille (« pourquoi n’irais-tu pas jouer avec tes copains »), juge (« Tu n’es pas soigneux »), humilie (« Tu devrais être honteux de ta conduite »), interprète (« tu es jaloux de ton frère ») ou enquête (« Pourquoi as-tu fait une chose pareille ? »). Ce type de messages engendre une résistance chez les enfants : ils se bloquent. Ces messages peuvent réduire leur confiance en eux et en leur capacité de trouver par eux-mêmes un comportement adapté. De plus, ils ont tendance à susciter des réponses boomerang « Tu n’es jamais contente », « toi aussi tu laisses traîner tes affaires », qui enveniment la relation. Se parler avec bienveillance commence dans le sens parents-enfants pour donner l’exemple du type de relation que nous voulons cultiver dans notre foyer.

2ème étape pour se parler avec bienveillance : utiliser le "je"

La clé est de remplacer le « tu » accusateur par le « je ». Pour cela, il faut commencer par identifier ce que l’on ressent, ce que l’on ne prend pas le temps de faire lorsqu’on utilise systématiquement le « tu ». Qu’est-ce que le comportement de mon enfant fait naître en moi : de la peur (qu’il se fasse renverser par une voiture), de l’inquiétude (de mauvaises fréquentations), de la tristesse (quand mes enfants se parlent mal), de l’épuisement (les enfants qui se relèvent le soir), de la contrariété (quand un enfant n’a pas fait ses devoirs ou accompli sa tâche) ? Vous remarquerez que je n’ai pas mentionné la colère. Bien sûr, il nous arrive d’en éprouver mais, souvent, nous étiquetons de « colère » tout ce qui nous dérange sans que nous sachions identifier plus précisément de quel sentiment il s’agit. Nous n’avons pas assez appris à décoder nos propres émotions. L’acceptation des émotions de notre enfant et des nôtres est au centre d’une communication bienveillante.

Gordon identifie 3 étapes à un message « je » parental efficace.

1/ Je décris le comportement inacceptable 

2/J’exprime mon sentiment     

3/ J’explique l’effet tangible du comportement

Prenons deux exemples :   1/Quand tu cours dans le salon  2/ J’ai peur…  3/ …que tu casses quelque chose /que tu te blesses

1/ Quand tu te relèves le soir après le coucher 2/ Je suis agacé(e)… 3/ …Car cela m’empêche de terminer mon travail/de lire mon livre/ de parler seul à seul avec papa/maman

Pour Thomas Gordon, l’enfant qui comprend ce que ressent son parent mais, surtout, pourquoi tel ou tel comportement lui pose problème est plus enclin à accepter de renoncer à son comportement. Par la menace ou la contrainte, il est possible d’arriver au même résultat. Mais nous prenons le risque d’abîmer la relation et l’estime de soi de l’enfant. Or, ne préférons-nous pas que nos enfants nous obéissent de bon cœur ? dans un esprit de coopération plutôt que par soumission ?

J’aurais pu dire à mon loulou gourmand sur un ton neutre et sans reproche : « Lorsque je te vois verser deux cuillères à soupe de sucre sur ta crêpe, je suis inquiète pour la santé car manger trop de sucre est mauvais ». Ce n’est pas si compliqué…

Se parler avec bienveillance et la communication non-violente (CNV)

La méthode Gordon se rapproche de la communication non violente (CNV), ou de la communication bienveillante. Celle-ci se décompose en 4 étapes, que l’on nomme OSBD. 

1/ j’Observe et je décris la situation 

2/ j’exprime mes Sentiments

3/ je formule mon Besoin (ce qui est important pour moi)

4/ je Demande (ce qui pourrait répondre à mon besoin)

Nous avons tendance à croire que ce sont les situations seules qui sont à l’origine de ce que nous ressentons. Or, il manque une donnée dans l’équation : nos BESOINS. Par exemple, les enfants se battent : cela m’agace prodigieusement. Quand je creuse sur les raisons de cet agacement je comprends que, parfois, tout ce bruit et ces tensions me fatiguent : mon besoin de repos et de calme n’est pas satisfait. Parfois, cela m’attriste : j’ai peur que ces tensions aient des répercussions sur leurs relations quand ils seront grands. Mon besoin de sécurité et d’amour n’est pas comblé. Parfois, cela me fruste et me renvoie à un sentiment d’incapacité d’éduquer mes enfants dans l’harmonie. Mon besoin de sens et d’accomplissement n’est pas satisfait.

Il existe 9 besoins fondamentaux reconnus par les spécialistes : les besoins physiologiques, de sécurité, d’être compris, d’amour, de créativité, de distraction, de repos, d’autonomie et de sens. Souvent, ce n’est pas directement le comportement de nos enfants qui nous agace mais les conséquences induites de ce comportement sur nous et nos besoins. Par exemple, nous voyons un ou deux enfants faire le fou dans la baignoire. Premier réflexe ? Râler ! Mais serions-nous aussi agacés si l’enfant nous assurait qu’il nettoiera lui-même l’eau par terre ? Peut-être pas. Essayons la version OSBD :

1/ Je vois de l’eau partout par terre  2/ Je me sens énervée car je crains de devoir passer 10 minutes à tout essuyer après votre bain alors que je suis fatiguée  3/ J’ai besoin de votre aide  4/ Si je vous sors la serpillère, vous pourrez essuyer vous-même ?

J’ai déjà essayé et remarqué que l’enfant préfère jouer comme un fou quitte à essuyer lui-même. Cette méthode a l’avantage de préserver les liens bien plus qu’en s’énervant « Vous avez encore mis de l’eau partout, il y en a assez ! ». Cela évite les reproches culpabilisateurs « Je vais encore devoir tout nettoyer » ou les punitions « Puisque c’est comme ça vous allez nettoyer vous-mêmes ! ».

Se parler avec bienveillance, la solution miracle ?

Je le dis clairement : je ne crois pas, en éducation, à des solutions miracles. Se parler avec bienveillance n’est pas une méthode 100% garantie, évidemment. Par contre, se parler avec bienveillance permet une communication plus apaisée. Cette façon de faire aide à trouver des solutions pour que chacun, parents comme enfants, puisse satisfaire ses besoins profonds. Cela équilibre la relation. Les ordres et punitions impliquent une relation d’autorité verticale. La bienveillance permet d’avoir davantage d’horizontalité, de coopération, d’amour et de respect (le respect authentique, pas celui que l’on impose par la force). Les règles et limites que je donne à mon enfant pour son bien sont expliquées, dans un climat serein, sans le stress de l’autoritarisme. Se parler avec bienveillance n’est pas un chemin facile pour les parents. Il nous faut nous défaire d’habitudes négatives, voire toxiques. Quand nous nous engageons dans cette voie, nous avons le sentiment d’être toujours en chemin, rien n’est acquis. Mais je suis convaincue que c’est un chemin qui apporte plus de joie et de sérénité dans la famille. Et je suis certaine que nous en avons tous besoin.

 

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